Cela doit faire plus de deux jours que je me suis égaré. Peut être trois, ma montre sest brisé contre un échelon. Je sais seulement quil fait nuit. La lumière blafarde des lampadaires passant par le regard de la plaque me montre la sortie en haut du puits. Je ne peux plus latteindre. Mon fémur sest fêlé en tentant de soulever la dernière plaque qui sest avérée soudée comme les précédentes. Maintenant je ne peux plus remonter les 15 mètres qui me séparent de la vie. Je ne peux pas crier, je nai plus de voix. Avec le bruit ambiant, avec les voitures qui vont et viennent, avec les passants qui continuent leur promenade insouciante en riant avec tous ces gens en surface que jentends, mon faible appel à laide nalarme plus que moi-même.
Pourtant, au début cette première descente dans les anciennes carrières de Paris mavait plus. Celui qui nous emmenait semblait sur de lui. Déjà trois fois quil y allait et on venait enfin de lui donner les mystérieux plans, clefs de ce royaume souterrain. Je me rappelle avoir fait attention lors des trois premiers carrefours après lentre de la petite ceinture. Ensuite, je ne me rappelle pas, mon souvenir sest émoussé avec la bière et les bruits de la joyeuse troupe inexpérimentée qui nous accompagnait. Et comment aurai-je pu me retrouver dans ce dédale infernal ! Les galeries foisonnent, les carrefours se ressemblent tous et les tags se confondent. La sensation de déjà vu est constamment oppressante.
Nous avons marché très longtemps. Le guide excité, voulait atteindre une salle nommée le cabinet minéralogique. Une fois arrivé là bas, nous avons pu enfin nous installer, sortir les victuailles, boissons et autres plaisirs que lon avait emportés. Lorsque que quelquun a demandé où était la poubelle, le guide a éclaté de rire et répondu que par terre cétait suffisamment crade, un déchet de plus ou de moins ça ne changerait rien. La fête battait son plein, de nombreux déchets recouvraient le sol, a tel point que lon ne pouvait marcher sans en écraser. Des bouteilles de bières étaient brisées en tas dans un coin, des paquets de chips séparpillaient un peu partout, les canettes de bière avaient bien été compressé mais cétait pour faire une parodie de collection sur les marches du cabinet minéralogique.
Nous étions serrés sur le banc de pierre et je discutais avec une fille apeurée lorsquune lumière vive embrasa lentré de la salle. Des cataphiles entrèrent muni de lampe acétylène qui éclairait dun jour nouveau le tas dordure. Lair dégoutté ils contemplèrent le tableau. On ne pouvait pas savoir combien ils étaient, la plupart restant hors de vue dans la galerie. Sans un mot lun deux arracha des mains du guide le précieux plan et lenflamma à laide de son acéto pendant quun autre renversait une étrange poudre jaunâtre sur le sol. Avant que quiconque de notre groupe est pu réagir, le plan enflammé fut jeté sur la poudre. Un éblouissante et insupportable lumière envahi la salle. A ce moment là, ce fut la débandade. Aveuglé par le feu, bousculé par mes voisins je ne trouvais plus la sortie. Alors quenfin je parvenais à mextraire en dernier du piège de la salle, une épaisse fumée que ma lampe ne parvenait pas à traverser imprégnait la galerie. Jobliquais à droite ne sachant plus ou les autres avaient fui. Jappelais en vain alors que je ne voyais même plus où je posais les pieds. Complètement paniqué, Ce nest que lorsque jai pu sortir du fumigène que jai constaté que jétais seul. Désemparé, jai décidé de continuer devant moi en espérant rejoindre les autres.
Je nai jamais pu les rattraper. Il a fallu que je me retrouve abandonné pour appréhender les dangers du lieu où je me trouvai. Tout à lheure accompagné par la joyeuse bande, les anciennes carrières mavaient paru accueillante et les risques insignifiants. Etre maintenant seul me fait prendre une position diamétralement opposée. A chaque pas, je crois entendre un bruit derrière moi. Mais lorsque je marrête plus un bruit ne me parvient. Cest lécho me dis-je jusqu'à ce quun choc sourd me parvienne au loin. Parfois jai peur davancer, ne sachant ce qui mattend au détour dune galerie. Le guide avait pris un malin plaisir à nous conter quelques légendes angoissantes qui circulaient en ces lieux. Nous en avions bêtement rit sur le coup mais désormais je ne sais plus quen penser. La douleur dans ma jambe se fait de plus en plus présente. Au fur et à mesure de ma progression, alors que ma lampe faiblit, les murs semblent se rapprocher, les ombres deviennent menaçantes. Je ne sais pas ou je vais, jai toujours vécu en banlieue et visité brièvement Paris en touriste. Les rares plaques que je rencontre comme boulevard Raspail ou rue notre dame des champs ne me sont daucun secours. Je suis définitivement perdu. Une part de moi me dicte de ne pas bouger dun carrefour, quelquun viendra bien à mon secours, mais dés que je marrête une sourde peur sempare de moi. Alors je me relève et je continue à avancer, cela fait longtemps que je nai pas dormi.
Ca y est, ma lampe a rendu lâme. Elle sest éteinte tout doucement, comme une bougie sasphyxiant. Le noir ne meffraie pas autant que ce que je croyais, mais la progression est de plus en plus difficile. Je suis épuisé. Je me repose contre un mur. A son contact je sens comme des aspérités régulières. Dans un espoir insensé je me retourne pour déchiffrer ce que je reconnais être des lettres. Lorsque mes doigts fébriles eurent identifié les mots " A la mémoire de Philibert Aspairt perdu dans cette carrière " je ne peux continuer. Pleurer ne sert à rien mais cest tout ce que je parviens à faire. Je me recroqueville au bas de cette stèle, caveau dun égaré tout comme moi. Cest dans cette tombe la que jai enterré mes angoisses. Je nai plus peur, je suis rassuré sur mon sort. Je ne sens plus ma jambe. Je décide de dormir un peu, pas longtemps, juste pour me permettre de trouver le repos. Si seulement je navais pas si froid.
Superflux
Dédicace à Benjam, glops, Zanka, vax, dash, gontrand, az, fêtard, limkha, actarus, néo et les ktagones.
Remontez vos ordures. Soyez discret en descendant. Tract à superflux n° 8. Posé le /02/2000. n° / 44