Image7.gif (10497 octets)  Le touriste égaré     Image8.gif (3654 octets)

Cela doit faire plus de deux jours que je me suis égaré. Peut être trois, ma montre s’est brisé contre un échelon. Je sais seulement qu’il fait nuit. La lumière blafarde des lampadaires passant par le regard de la plaque me montre la sortie en haut du puits. Je ne peux plus l’atteindre. Mon fémur s’est fêlé en tentant de soulever la dernière plaque qui s’est avérée soudée comme les précédentes. Maintenant je ne peux plus remonter les 15 mètres qui me séparent de la vie. Je ne peux pas crier, je n’ai plus de voix. Avec le bruit ambiant, avec les voitures qui vont et viennent, avec les passants qui continuent leur promenade insouciante en riant avec tous ces gens en surface que j’entends, mon faible appel à l’aide n’alarme plus que moi-même.

Pourtant, au début cette première descente dans les anciennes carrières de Paris m’avait plus. Celui qui nous emmenait semblait sur de lui. Déjà trois fois qu’il y allait et on venait enfin de lui donner les mystérieux plans, clefs de ce royaume souterrain. Je me rappelle avoir fait attention lors des trois premiers carrefours après l’entre de la petite ceinture. Ensuite, je ne me rappelle pas, mon souvenir s’est émoussé avec la bière et les bruits de la joyeuse troupe inexpérimentée qui nous accompagnait. Et comment aurai-je pu me retrouver dans ce dédale infernal ! Les galeries foisonnent, les carrefours se ressemblent tous et les tags se confondent. La sensation de déjà vu est constamment oppressante.

 

Nous avons marché très longtemps. Le guide excité, voulait atteindre une salle nommée le cabinet minéralogique. Une fois arrivé là bas, nous avons pu enfin nous installer, sortir les victuailles, boissons et autres plaisirs que l’on avait emportés. Lorsque que quelqu’un a demandé où était la poubelle, le guide a éclaté de rire et répondu que par terre c’était suffisamment crade, un déchet de plus ou de moins ça ne changerait rien. La fête battait son plein, de nombreux déchets recouvraient le sol, a tel point que l’on ne pouvait marcher sans en écraser. Des bouteilles de bières étaient brisées en tas dans un coin, des paquets de chips s’éparpillaient un peu partout, les canettes de bière avaient bien été compressé mais c’était pour faire une parodie de collection sur les marches du cabinet minéralogique.

 

Nous étions serrés sur le banc de pierre et je discutais avec une fille apeurée lorsqu’une lumière vive embrasa l’entré de la salle. Des cataphiles entrèrent muni de lampe acétylène qui éclairait d’un jour nouveau le tas d’ordure. L’air dégoutté ils contemplèrent le tableau. On ne pouvait pas savoir combien ils étaient, la plupart restant hors de vue dans la galerie. Sans un mot l’un d’eux arracha des mains du guide le précieux plan et l’enflamma à l’aide de son acéto pendant qu’un autre renversait une étrange poudre jaunâtre sur le sol. Avant que quiconque de notre groupe est pu réagir, le plan enflammé fut jeté sur la poudre. Un éblouissante et insupportable lumière envahi la salle. A ce moment là, ce fut la débandade. Aveuglé par le feu, bousculé par mes voisins je ne trouvais plus la sortie. Alors qu’enfin je parvenais à m’extraire en dernier du piège de la salle, une épaisse fumée que ma lampe ne parvenait pas à traverser imprégnait la galerie. J’obliquais à droite ne sachant plus ou les autres avaient fui. J’appelais en vain alors que je ne voyais même plus où je posais les pieds. Complètement paniqué, Ce n’est que lorsque j’ai pu sortir du fumigène que j’ai constaté que j’étais seul. Désemparé, j’ai décidé de continuer devant moi en espérant rejoindre les autres.

 

Je n’ai jamais pu les rattraper. Il a fallu que je me retrouve abandonné pour appréhender les dangers du lieu où je me trouvai. Tout à l’heure accompagné par la joyeuse bande, les anciennes carrières m’avaient paru accueillante et les risques insignifiants. Etre maintenant seul me fait prendre une position diamétralement opposée. A chaque pas, je crois entendre un bruit derrière moi. Mais lorsque je m’arrête plus un bruit ne me parvient. C’est l’écho me dis-je jusqu'à ce qu’un choc sourd me parvienne au loin. Parfois j’ai peur d’avancer, ne sachant ce qui m’attend au détour d’une galerie. Le guide avait pris un malin plaisir à nous conter quelques légendes angoissantes qui circulaient en ces lieux. Nous en avions bêtement rit sur le coup mais désormais je ne sais plus qu’en penser. La douleur dans ma jambe se fait de plus en plus présente. Au fur et à mesure de ma progression, alors que ma lampe faiblit, les murs semblent se rapprocher, les ombres deviennent menaçantes. Je ne sais pas ou je vais, j’ai toujours vécu en banlieue et visité brièvement Paris en touriste. Les rares plaques que je rencontre comme boulevard Raspail ou rue notre dame des champs ne me sont d’aucun secours. Je suis définitivement perdu. Une part de moi me dicte de ne pas bouger d’un carrefour, quelqu’un viendra bien à mon secours, mais dés que je m’arrête une sourde peur s’empare de moi. Alors je me relève et je continue à avancer, cela fait longtemps que je n’ai pas dormi.

 

Ca y est, ma lampe a rendu l’âme. Elle s’est éteinte tout doucement, comme une bougie s’asphyxiant. Le noir ne m’effraie pas autant que ce que je croyais, mais la progression est de plus en plus difficile. Je suis épuisé. Je me repose contre un mur. A son contact je sens comme des aspérités régulières. Dans un espoir insensé je me retourne pour déchiffrer ce que je reconnais être des lettres. Lorsque mes doigts fébriles eurent identifié les mots " A la mémoire de Philibert Aspairt perdu dans cette carrière …" je ne peux continuer. Pleurer ne sert à rien mais c’est tout ce que je parviens à faire. Je me recroqueville au bas de cette stèle, caveau d’un égaré tout comme moi. C’est dans cette tombe la que j’ai enterré mes angoisses. Je n’ai plus peur, je suis rassuré sur mon sort. Je ne sens plus ma jambe. Je décide de dormir un peu, pas longtemps, juste pour me permettre de trouver le repos. Si seulement je n’avais pas si froid.

Superflux


Dédicace à Benjam, glops, Zanka, vax, dash, gontrand, az, fêtard, limkha, actarus, néo et les ktagones.

Remontez vos ordures. Soyez discret en descendant. Tract à superflux n° 8. Posé le /02/2000. n° / 44