Tract n° 17

Page de couverture :

Texte :

 

Cela arriva sous terre, la nuit, dans le silence. Une fois de plus notre groupe s’acharnait à prolonger cette chatière qui n’en finissait pas. Bien sur, au commencement, la tâche nous avait à tous paru aisée. Mais au fur et à mesure de la progression, les obstacles s’accumulaient, les murs de barrage et les injections épaisses nous freinaient considérablement. Ce soir là, c’était à mon tour de travailler en tête, et encore une fois je me jetais avec rage dans les entrailles de la chatière avec l’espoir chevillé au corps de pouvoir enfin arriver au bout.  

 

Je retirais d’abord les plus gros blocs de pierres à main nue, puis, à l’aide d’une pèle bêche, je remplissais le sceau avec de la terre. Le tout était emporté par la chaîne humaine qui s’étirait derrière moi jusqu'à un passage plus large où une hague était montée avec le contenu des sceaux. Toutes ces étapes s’enchaînaient à merveille et la chatière avançait vite. Une équipe de quatre personnes suffisait amplement à la tâche. Le secret étant de se relayer souvent avec le reste du groupe resté à l’entrée. Notre but était d’atteindre une carrière condamnée depuis la fin du siècle dernier. Située dans une zone peu urbanisée, elle n’avait laissé de traces dans la mémoire populaire que sous la forme de légendes hermétiques. Les recherches pour la localiser avait été longues et tortueuses. Pour une carrière de cette taille les traces étaient rares dans les archives. Devant une telle pénurie, nous avons même pensé un moment que certains documents avaient été volontairement perdus voire dérobés. Comme si on avait voulu effacer l’existence de ces souterrains.

 

J’accomplissais ma dure tâche mécaniquement et mes pensées voguaient bien loin de la carrière lorsque tout à coup je sentis que ma pèle ne rencontrait plus de résistance. Une bouffé d’air humide me sauta à la gorge, un trou béant venait d’apparaître. Je dégageais fébrilement la sortie de chatière pour me laisser glisser dans cette carrière inexplorée. Poussé par l’excitation fébrile de la découverte, je m’avançais imprudemment vers l’inconnu sans prendre la peine d’alerter mes prédécesseurs. Il faisait très chaud et étonnamment sec. Au détour d’un pilier tourné, mon acéto fut soufflée brusquement par un courant d’air. Sans briquet sur moi je rebroussais chemin tant bien que mal dans le noir complet. Jusque là je ne paniquais pas vraiment car je m’attendais à retrouver à la sortie de la chatière le reste de mon groupe. Pourtant je n’entendais aucune exclamation de joie. Le silence oppressant reflétait mon angoisse croissante.

 

J’aperçus comme un halo devant moi. C’était la sortie de la chatière, constellée d’une multitude de petits points lumineux de couleurs très variées. J’ai d’abord pensé à du cyalume répandu sur les murs, mais l’effet était encore plus saisissant, j’avais l ‘impression de contempler un ciel étoilé, comme si les parois de la carrière s’étaient abattus pour laisser place à un espace infini. La matière qui produisait cette lumière était épaisse et gluante, lorsque je la touchais, je me reculais vivement en sentant de la chaleur.

Angoissé, je commençais à ramper dans la chatière, seulement éclairé par les points lumineux. A un virage, j’ai aperçus une masse noire, qui semblait aspirer le scintillement environnant. En tâtonnant j’ai reconnu une botte. Plus loin j’ai trouvé un corps inanimé. C’était un de mes amis,  j’ai eu beau tenter de le réveiller, il ne bougeait pas. Incapable de le traîner dans un conduit si étroit j’ai accéléré pour alerter le reste du groupe. Arrivé à l’entrée de la chatière,  les mélopées de musique barbare ne me sont pas parvenues comme à l’accoutumée. Prudemment je me suis extrait du boyau, j’ai alors entendu comme un craquement désagréable d’os qu’on broie. Cela venait du squat.

 

La suite des événements reste assez flou dans mon esprit. Je me rappelle que le bruit à cessé, par instinct je me suis mis à courir à l’opposé du squat vers la sortie. Derrière moi, un bruit de pas lourd se fit entendre. On me poursuivait. Si les galeries étaient plus spacieuses que la chatière, elles avaient néanmoins un ciel assez bas. Les points lumineux n’étaient plus la pour m’éclairer. En touchant les parois avec les mains, j’arrivais à me guider dans le noir, mais ma tête n’arrêtait pas de cogner les parois. Le sang me dégoulinai dans les yeux. Par chance je connaissais par cœur le chemin vers la sortie. Les pas se rapprochait encore mais ne semblait pas avancer avec précipitations. J’arrivais enfin à la galerie menant à l’escalier de sortie. Mais mes pieds butèrent sur une masse informe. Un autre de mes compagnons était étendu à terre.

 

Je fouillais désespérément au niveau de ce qui semble-t-il avait été une tête à la recherche d’un casque avec lampe frontale. J’eus à peine le temps de la saisir et l’allumer que j’entendais les pas sourds se rapprocher de moi. De peur de sombrer dans la folie je n’osais pas éclairer la masse qui me poursuivait. Je fonçais tête baissée vers l’escalier. Les marches en colimaçon dansaient devant mes yeux, le souffle court, je rassemblais mes dernières forces pour m’extraire de ce piège. Une frayeur atroce me déchirait les entrailles, augmentant avec l’intensité des pas qui me poursuivaient dans l’escalier. Et plus la panique prenait possession de mon âme, plus mes mouvements devenaient désordonnés. La terre accumulée en haut de l’escalier rendait ma démarche instable et incertaine. Mon allure faiblissait au fur et à mesure que grandissait en moi la certitude que cet escalier de cauchemar n’avait  pas de fin.

 

 

Epuisé, découragé, je songeais à abandonner lorsque enfin mes pieds se posèrent sur le palier de sortie. Il n’y avait plus de marche à franchir, seulement une échelle de 2 mètres pour être sauvé. Mais mon élan fut brisé net. Alors que lors de l’entrée dans la carrière, notre groupe avait posé un carré et une grille pour faciliter la sortie, la lourde plaque avait été remise en place. Seul témoignage de la surface si lointaine, une raie de lumière filtrait à travers le mince regard. Je ne pouvais plus faire un mouvement. Lentement, le poison de la peur s’était immiscé en moi, j’étais paralysé.

 

C’est à ce moment la que j’ai cessé d’entendre les pas. Un silence brutal succédait à la bruyante poursuite Je voulais crier pour expulser la terreur qui explosait en moi, mais l’air refusait de sortir, il restait bloqué dans les poumons. Incapable de me retourner, je ne pouvais qu’attendre, les mains désespérément crispées sur l’échelle. Un son à la limite de l’audible, ressemblant à s’y méprendre à un souffle animal, parvint à mes oreilles. Dans mon dos, le léger sifflement m’indiquait un danger immédiat pourtant rien ne bougeait. J’ai réalisé que le seul but de cette chasse était de m’expulser de la carrière. Pour que je dissuade les futurs explorateurs. C’est alors que j’ai puisé au fond de moi-même les dernières ressources qui me restaient pour commencer à grimper l’échelle. Le premier barreau fut le plus difficile à franchir, arrivé en haut j’ai pu pousser la plaque malgré les tremblement convulsifs qui parcourraient mes jambes. J’étais dehors et vivant. Je restais un moment allongé sur l’asphalte du parking du supermarché. En refermant la plaque, je n’ai pas pu m’empêcher de jeter un œil dans les ténèbres du trou. Je n’ai rien pu distinguer excepté des petites tâches lumineuses constellant les parois de l’escalier.

 

Des le lendemain, je suis retourné aux archives pour effacer toutes traces de la carrière, pour que nul après nous ne puisse faire cette amère expérience. Depuis cette nuit, je ne creuse plus de chatière, j’ai trop peur de les terminer. On ne sait jamais ce qu’il y a derrière, parfois on débouche en enfer.                              Superflux

Dédicace à Zanka, Malou, Globe, l’Hermine, Brewal, Mickey, H20, Vax, Dash, Krevette, Marmotte, Azimut, Caribou, Benjam, aux rebelles d’Electron Libre et aux victorieux Ktagones.     Spécial 15 ans de la liste Aventures

Descendez couvert, portez un casque. Tract à Superflux n° 17.                 / 36.